UNE OCCUPATION ESPAGNOLE en SAVOIE 1742-1749
Avant sa réunion à la France en 1860, la Savoie a été occupée à plusieurs reprises par les troupes françaises (sous François Ier et Henri II, un an sous Louis XIII, deux fois à la fin du règne de Louis XIV, sous la Révolution et l’Empire)… Plus inattendue est une occupation espagnole dans les années 1740.
LES CIRCONSTANCES POLITIQUES
En 1740 à la mort de l’Empereur Charles VI, sa fille Marie-Thérèse lui succède. Elle hérite directement de l’Autriche, de la Bohème, de la Hongrie, de la Belgique et du Milanais, mais étant une femme, elle ne peut être élue Empereur. Cet héritage est contesté par plusieurs souverains européens et l’attaque brutale par le roi de Prusse Frédéric II de la Silésie, qui fait partie de la Bohème, déclenche la guerre de Succession d’Autriche.
L’Espagne souhaite reconquérir le Milanais, ce qui conduit le Roi de Piémont-Sardaigne Charles-Emmanuel III hostile à la présence espagnole en Italie à s’allier à l’Autriche. Le roi d’Espagne envoie des troupes en Italie fin 1741 et début 1742. Mais ensuite le reste des troupes espagnoles est bloqué à Barcelone par l’intervention de la flotte anglaise en Méditerranée. Louis XV autorise alors le passage d’une armée espagnole par la France (mars 1742). Le roi de Sardaigne a mis en défense Nice et Villefranche-sur-mer, ce qui fait que les espagnols commandés par l’infant Philippe, plus jeune fils de Philippe V d’Espagne et d’Elisabeth de Parme, restent bloqués à Antibes, pendant que ceux débarqués en Italie sont refoulés. Madrid ordonne alors à l’armée de prendre la route des Alpes par Barcelonette, Briançon, mais elle hésite à passer en Piémont et finalement se rabat sur la Savoie, destination tout-à-fait imprévue…
La PREMIÈRE OCCUPATION
Le 1er septembre 1742 l’avant-garde espagnole passe le col du Galibier et descend sur Valloire et la Maurienne. La Savoie n’est pas en état de se défendre ; les hauts fonctionnaires piémontais totalement surpris expédient à Turin les caisses des deniers royaux et les archives et se replient au delà des Alpes. Très vite le territoire est occupé sans heurt par 18000 espagnols. Les autorités locales sont invitées à se soumettre et à reconnaître le roi d’Espagne comme suzerain. Très vite paraissent des ordres de réquisition pour l’entretien de l’armée espagnole, qui se répartit sur le territoire, mais ne garde pas les cols.
Début octobre le roi de Sardaigne avec 11000 hommes pénètre en Savoie à la fois par les cols du Mont-Cenis et du Petit-Saint-Bernard, refoule les espagnols dans les vallées de la Maurienne et de la Tarentaise. Les 2 armées se font face devant Montmélian, mais l’armée espagnole refuse le combat et passe en France pour stationner autour de Fort-Barraux. Cela oblige l’armée piémontaise à stationner dans des conditions difficiles autour de Montmélian. Madrid remplace son chef d’état-major par le marquis de la Mina avec ordre de contre-attaquer.
La GRANDE OCCUPATION 1743-1749
En décembre les espagnols envahissent à nouveau la Savoie : seul le château d’Apremont résiste ; les piémontais en infériorité numérique font retraite, talonnés par les espagnols et repassent difficilement les cols.
Le 5 janvier 1743 accueilli par les autorités, l’infant Philippe fait une entrée solennelle à Chambéry et s’installe au château. Il impose le 25 février une prestation de serment de la noblesse, du Sénat et de toutes les autorités de Savoie.
L’infant et les chefs espagnols exercent une certaine fascination sur la haute société savoyarde, avec laquelle s’organisent des fêtes, des spectacles… Un théâtre est construit au château de Chambéry. Une structure gouvernementale s’organise avec un Conseil espagnol présidé par le marquis de la Ensenada qui a autorité sur la Délégation générale de 4 puis 9 Savoyards désignés d’office, chargés de la délicate mission de collecter les impôts et d’exécuter les réquisitions.
En février 1744 l’infant Philippe fait un voyage à Lyon, où il est reçu en grande pompe par les autorités lyonnaises: cavalcade, canonnade, feu d’artifice, illuminations, spectacles à l’opéra, bal à l’hôtel de ville…
La Savoie est ainsi prise en otage par les espagnols et sert de base arrière pour la guerre en Italie. Les occupants, dont le nombre sera très variable, selon les péripéties de la guerre en Italie, s’installent partout en Savoie. Ils doivent être logés et soignés, ont besoin de bois de chauffage, de viande, de fourrage… Le poids des réquisitions forcées va devenir de plus en plus lourd avec les années pour une province à bout de ressources. L’économie est perturbée, la contrebande se développe.
La FIN DE LA GUERRE ET LA LIBÉRATION
La Guerre de Succession d’Autriche se termine en juillet 1748. Les espagnols commencent à quitter la Savoie. La paix est signée au traité d’Aix-la-Chapelle en octobre. Charles-Emmanuel III récupère la Savoie et Nice et gagne quelques territoires du Milanais.
L’infant Philippe devient duc de Parme, héritage de sa mère ; il fonde ainsi la maison de Bourbon-Parme (un de ses nombreux descendants est le Grand-Duc de Luxembourg régnant actuel). Il quitte Chambéry en décembre ; les derniers espagnols en février 1749. Les envoyés du roi de Sardaigne reprennent le contrôle du duché à la satisfaction générale. Le théâtre espagnol est démonté. Il n’y a pas de sanction envers ceux qui ont collaboré, mais le roi a aussi besoin d’argent et les impôts continuent. L’apurement des comptes après ce traumatisme durera plus de 20 ans…
L’occupation suivante de la Savoie sera française en 1792.
Article de 2017 – dernière modification 10/2022
Source : Alain Becchia – l’occupation espagnole de la Savoie – L’histoire en Savoie n°13 2007 (bibliothèque militaire de Lyon) / Albert Champdor – Les rois de France à Lyon – Albert Guillot 1986