La Révolte des Canuts de 1831

La RÉVOLTE des CANUTS à LYON en NOVEMBRE 1831 

Il y a 180 ans en 1831 à Lyon, les ouvriers en soie (plus tard appelés les « canuts ») comptent 30000 compagnons, 8000 chefs d’atelier travaillant à domicile et 750 « fabricants » qui sont les donneurs d’ordre recevant les commandes. Cette industrie est très dépendante des contraintes économiques et la « fabrique » fonctionne par à-coups. S’il n’y a pas assez de commandes, les métiers chôment et les ouvriers qui ne sont plus payés sont très vite dans la misère…
Ils commencent à s’organiser (« Volontaires du Rhône » de Lacombe…) en vue d’obtenir du patronat une augmentation du tarif des façons et les autorités s’inquiètent.

La préfecture place des Jacobins

Le général Comte Roguet est alors le commandant militaire de Lyon et de la 7ème Division Militaire. Les forces dont il dispose à Lyon sont réduites : 3 bataillons du 66° de ligne peu sûr, un bataillon du 13° de ligne, du 12° Dragons et de 2 compagnies du Génie. La Garde Nationale formée par les citoyens compte 10000 hommes mal encadrés, peu instruits et surtout divisée entre bourgeois et ouvriers.
Roguet inquiet se montre favorable à l’établissement d’un tarif pour les ouvriers en soie. Une réunion entre chefs d’atelier et fabricants en présence du préfet Bouvier du Molard a lieu à la préfecture (place des Jacobins) le 25 octobre 1831. Un tarif est adopté à la satisfaction générale. C’est ce que relate le premier numéro d’un journal ouvrier « l’Echo de la Fabrique » du 30 octobre 1831.

L’Echo de la Fabrique n° 1

L’enthousiasme va vite retomber : les fabricants jouent de leur influence auprès du ministre du commerce, qui rappelle à l’ordre le préfet, qui se rétracte le 1er novembre et le tarif n’est pas appliqué. Dès lors la colère va aller grandissante, avec appels à la révolte, surtout à la Croix-Rousse, qui était une commune indépendante séparée de Lyon par les fortifications. Un chef est choisi : Buisson.

Le lundi 21 novembre c’est la grève ; à la porte de la Croix-Rousse un peloton de gardes nationaux est désarmé par les ouvriers, qui descendent ensuite par la Grand’Côte pour demander l’application du tarif : ils se heurtent à la Garde Nationale et une fusillade éclate. Les ouvriers se replient sur la colline et dressent des barricades. Sur l’une d’elles est dressé un drapeau noir avec la devise « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ». Les autorités (le préfet et le général Roguet) contre-attaquent en faisant monter deux colonnes de soldats et gardes nationaux. La première par la montée Saint-Sébastien emporte une barricade au niveau de la caserne des Collinettes, la 2ème par la Grand’côte conduite par le préfet et le général Ordonneau chef de la Garde Nationale parvient à la Croix-Rousse : les autorités sont retenues quelques heures en otages. Le maire de la Croix-Rousse obtient un retour au calme très précaire.

Affrontement à la barrière de la Croix-Rousse

Le lendemain 22 novembre des centaines d’ouvriers de la Guillotière et des Brotteaux montent prêter main-forte à ceux de la Croix-Rousse. L’affrontement reprend et se généralise, des barricades s’élèvent partout, 2 compagnies du 13° de ligne encerclées doivent capituler. 5 à 600 hommes du 66° sont désarmés par 50 hommes à la caserne des Colinettes (Villemanzy). Les révoltés sont pourvus d’armes prises à la Garde Nationale et aux soldats. L’offensive gagne la rive gauche du Rhône ; les ponts sont pris, l’octroi du pont Lafayette est incendié. D’autres groupes conduits par Lacombe venus par Vaise et le Vieux-Lyon investissent la place des Cordeliers et la place des Célestins, puis l’Hôtel de Ville. Les soldats sont repoussés de la Croix-Rousse ; ils manquent de munitions et refusent de se battre. Dans la nuit le Général Roguet se replie avec ses troupes par le quai Saint-Clair à Rillieux, laissant derrière lui environ 900 déserteurs.

Le 23 novembre les canuts sont maîtres de la ville. Lacombe occupe l’Hôtel de Ville avec une commission hétéroclite, qui tente de s’organiser et rédige un appel aux Lyonnais. Le préfet entre en contact avec lui pour tenter de rétablir l’ordre. Lacombe renonce. Des éléments étrangers à la « Fabrique » occupent l’Hôtel de Ville.

Appel aux lyonnais de la Commission des Ouvriers

Le 24 novembre Buisson à la tête d’un groupe d’ouvriers reprend le contrôle l’Hôtel de Ville et forme un nouvel état-major provisoire, accepté par l’adjoint au maire et le préfet, qui promettent la révision du tarif. Dès lors s’amorce le retour à la normale. L’état-major reste en place jusqu’au 29, jour où il donne sa démission au préfet. La Garde Nationale est dissoute et les armes en partie récupérées.

Pendant ce temps des troupes convergent vers la ville, commandées par le Duc d’Orléans, héritier du trône, et le maréchal Soult. L’avant-garde sous les ordres du futur maréchal de Castellane occupe Saint-Just le 1er décembre. Le lendemain un conseil de guerre se tient au château de la Duchère. Les troupes (18000 hommes) investissent Lyon sans résistance le 3 décembre. Des prises d’armes ont lieu place Bellecour les jours suivants. Le préfet Bouvier du Molard est destitué, remplacé par Gasparin ; le Général Roguet également remplacé par le général baron Hulot. Le 66° de ligne part pour l’Algérie. La récupération des armes est lente. Le nombre des victimes des 21 et 22 novembre est estimé à 600, dont plus de 100 morts militaires et 69 civils. Le Roi Louis-Philippe préconise d’être « sage sans faiblesse et ferme sans violence » (il n’y aura pas d’exécutions) et passe une commande de 640000 F de tissus d’ameublement…

Pendant près de 10 jours, la 2ème ville de France a échappé au contrôle de l’état… Ces événements de Lyon ont eu un grand retentissement en France et en Europe. Alors bien avant Marx, des analystes comprennent que c’est la première révolte sociale et que la société industrielle et commerciale qui monte en puissance fait aussi se développer une population prolétaire, qui en retour la menace…

Article de 2011 – Dernière modification 02/2016
Source : Fernand Rude – Les révoltes des canuts 1831-1834 – F. Maspéro 1982